Eduscopie : Bienvenue Marie, je te laisse te présenter
Marie : Je m’appelle Marie, j’étais directrice et enseignante dans l’éducation nationale en école publique, j’ai écrit 2 livres ‘Colibri et après ?” et bientôt “Elevés en plein air’.
J’ai ouvert mon auto-entreprise pour aider les enseignants à sortir de leur classe et à faire classe dehors si possible dans des lieux les plus naturels possible.
Eduscopie : Comment ça a commencé cette aventure du dehors dans ton école ?
Marie : Pendant le confinement j’étais pas mal dehors avec mes enfants et on a vraiment ressenti ce besoin d’être en plein air. Quand je suis retourné à l’école, j’étais directrice d’une école maternelle, il a fallu mettre en place ce protocole très lourd à la base avec la distanciation sociale etc. Et ça m’a paru tellement contraignant et compliqué que je me suis dit que peut être la solution serait tout simplement d’ouvrir la porte.
Pour éviter aussi de stresser les enfants et en plus de tous les bénéfices qu’il y a d’être dehors pour ne pas attraper le virus.
J’ai donc commencé comme ça, à faire classe dans la cour de récréation et ensuite il fallait rendre hommage à la liberté à la rentrée des vacances de la Toussaint pour Samuel Paty et je n’avais aucune idée de comment rendre hommage à la liberté avec des enfants de 4/5 ans.
J’ai eu un déclic je les regardais dans la classe et je me disais de quoi, moi, j’aurais envie et qu’est ce qui m’inspirait la liberté à leur âge et j’ai eu un flash de mon enfance avec mon grand-père dehors et c’est ce qui m’inspirait la liberté.
Je me suis rappelé qu’il y avait une forêt pas loin de l’école et j’ai demandé aux enfants s’ils voulaient y aller et ils ont directement accepté l’idée.
Je me suis connectée à ce que je ressentais à l’instant T et j’ai agi selon ça. Et c’était incroyable, on a fait une méditation en forêt, on a expliqué ce qu’était une liberté pour nous et les enfants ne voulaient pas rentrer.
Donc j’ai essayé de trouver des solutions pour faire ce que j’avais prévu dans la classe mais à l’extérieur.
J’ai improvisé cette matinée et j’ai découvert mes élèves complètement enfant plutôt qu’élève et je me suis découverte en adulte plutôt qu’enseignante et il y a eu un lien qui s’est créé et finalement.
J’ai eu le déclic de vouloir revivre ce moment dans la forêt et de revoir mes élèves en tant qu’enfant.
Je veux me sentir en tant qu’enseignante plus transparente, moins stressée, plus à l’écoute, plus ancrée aussi.
Et de fil en aiguille on y retournait quasiment toutes les semaines. Voilà le démarrage.
Eduscopie : Et du coup à l’époque tu connaissais déjà les ForestSchool et tu avais déjà un peu d’informations sur ça ou tu as écouté ce que tu ressentais tu es partie là-dedans et tu as découvert après ?
Marie : Non je ne connaissais pas du tout, je savais que ça existait et même à l’instant T aussi je n’ai jamais regardé de reportage sur cela. J’ai écrit un livre sur l’école dehors, une fois que j’ai démarré j’ai eu besoin d’aide parce que je n’étais pas inspirée et j’ai regardé quels livres existaient.
Je voulais des activités pédagogiques pour emmener mes élèves en forêt sans prendre du retard sur les programmes. Mais je ne trouvais pas vraiment ce que je voulais dans les livres. Je trouvais que cela faisait plus activités familiales qui ne répondait pas exactement aux attentes de l’éducation nationale en termes d’avancée des programmes.
J’ai toujours été stressé des inspecteurs qui venaient dans ma classe et je ne me sentais pas de me détacher du programme. Ce n’est pas vraiment de la ForestSchool ce que j’ai fait : j’allais en forêt mais les activités restaient pédagogiques.
Ce n’était pas de la pédagogie exclusivement par la nature.
C’étaient des activités pédagogiques au sens strict du terme : on y allait pour faire les séances qu’on faisait à l’école sous forme de jeux dans la forêt.
Le graal est d’apprendre uniquement avec l’environnement environnant mais je pense qu’il y a un escalier à franchir et je pense que la plupart des enseignants ne se lancent pas parce que ce graal de la pédagogie par la nature semble beaucoup trop éloigné des exigences de l’école publique aujourd’hui.
Donc je propose une alternative entre les deux pour permettre aux enseignants de sortir quoi qu’il arrive au moins, au minimum, dans la cour de récréation et au mieux dans une forêt ou dans un espace naturel.
Et une fois qu’on est sorti et qu’on découvre tout le plaisir qui se cache derrière l’enseignement à l’extérieur, on devient accro.
C’est pareil avec le zéro déchet et l’écologie c’est juste un démarrage qui permet ensuite d’aller beaucoup plus loin.
Je pense que je suis à mi-chemin entre les deux.
Eduscopie : Ça a commencé par les sorties et du coup ça a poursuivi par quoi au sein de ton école ?
Marie : Le projet zéro déchet nous a amené à la forêt. Avant le covid et les protocoles on avait démarré un projet de réduction des déchets, on avait réussi à diminuer de 80% les déchets plastiques de toute l’école.
Toutes les enseignantes étaient investies, on était 4 enseignantes avec 110 élèves, en revanche l’école dans la forêt j’étais seule à le faire.
En voulant supprimer, on installe un composteur, une fontaine à eau dans la cantine, la vaisselle jetable.
On avait déjà démarré un potager où on plantait toutes sortes de fruits et de légumes qu’on transformait en classe, on avait déjà tout cela et c’est vraiment le covid qui a fait que moi il fallait que je me réinvente parce que la relation que j’avais avec mes élèves elle dépendait beaucoup du taux d’écologie qu’il y avait à l’école.
Et du jour au lendemain, on me met un protocole et je ne peux plus utiliser le zéro déchet. Mais il fallait que je retrouve quelque chose et voilà ça a été l’école de la forêt.
Ce que j’ai ramené à l’école ce n’est pas matériel c’est vraiment de la motivation pour les enfants d’aller à l’école.
Quand on demande aux enfants après l’école ce qu’ils ont fait, leur meilleur souvenir c’est la récréation.
Donc on devrait se servir de ça et se dire que s’ils retiennent que pendants les moments qui leur procurent de l’émotion pourquoi ne pas faire la récréation toute la journée car c’est à ce moment-là qu’ils s’amusent le plus.
S’ils retiennent ce qu’ils ont fait durant la récréation, on va essayer de revoir les conditions d’apprentissage pour que cela ressemble à la récréation.
Je suis partie de leur plaisir de bouger, de coopérer et d’inventer des jeux et je me suis dit il faut absolument faire ça durant les cours.
Eduscopie : Est-ce que tu connais les travaux de Peter Grey ?
Marie : Non pas du tout
Eduscopie : C’est un des seuls chercheurs qui s’est penché de manière rigoureuse et scientifique sur les apprentissages par le jeu.
Est-ce qu’il y a d’autres choses dont tu voudrais nous parler qui se sont passées au sein de ton école autour de ce qui t’anime aujourd’hui ?
Marie : Ce qui a été profondément modifié comme je vous le disais c’est la motivation et le plaisir des enfants de venir à l’école.
Mais aussi beaucoup la réconciliation de l’école avec les parents de mes élèves. Je travaillais dans un milieu social assez défavorisé et j’ai souvent eut la sensation en tant que directrice d’école qu’il fallait réconcilier d’abord les parents avec l’école parce que l’école pour eux ça représentait beaucoup de souffrances, beaucoup de stigmatisations par rapport à ce qu’ils avaient vécu dans leur enfance c’est-à-dire l’époque à laquelle, nous on allait à l’école.
Les mauvais élèves étaient très fort stigmatisés, il n’y avait pas encore de différenciation pédagogique comme il y a aujourd’hui, donc c’est presque marche ou crève et je sentais que c’était imprégné hyper fort en eux. Et ce que ça fait c’est qu’ils avaient des enfants qui rentraient hyper heureux, avec pleins de souvenirs dans la tête et avec le sourire.
J’ai vraiment eu la sensation que la relation avec les parents avait été hyper changée et moi qui mettait tout en œuvre auparavant pour voir des sourires sur les visages des parents en organisant des événements c’était beaucoup d’effort et la juste en emmenant les enfants en forêt j’avais des parents qui me faisaient confiance et ils voyaient leurs enfants heureux. Et c’est pour moi la plus belle conclusion : d’avoir réussi à réconcilier les parents avec l’école.
Eduscopie : Si tu devais aujourd’hui donner des conseils pour inviter les personnes à commencer pour ceux qui ne sont pas du tout dans ce domaine mais qui savent le bienfait des apprentissages en extérieur, par où commencer ?
Marie : Je ne prône pas à 100% l’école en extérieur, cependant ce que je prône par-dessus tout c’est l’authenticité : je pense que l’on est tellement dans un cadre strict et rigide qui nous étouffes qu’on oublie complètement d’être nous-même et finalement c’est de ça dont les enfants ont besoin.
Pour moi le but ultime de l’école c’est de révéler la nature profonde de l’enfant autant qu’à la maison, c’est la responsabilité des parents et c’est la responsabilité de l’école parce qu’au bout de l’école normalement on y trouve un métier.
Aller à l’école c’est la promesse d’un métier et j’ai l’impression qu’on a tendance à fabriquer des élèves, des citoyens mais pas à révéler qui sont ces citoyens pour qu’ils aillent dans la bonne branche, qu’ils exploitent tout leur potentiel et qu’ils soient efficaces dans leur travail.
On est dans un monde avec plein d’adultes qui se retrouvent perdus dans le monde du travail, qui sont malheureux car ils ont respecté tout cela.
On est dans une société qui manque d’adulte authentique, donc on incarne ce manque d’authenticité on le renvoie aux enfants et les enfants ne sont plus authentiques non plus : ils sont simplement ce que l’on attend d’eux.
Je ne conseille pas aux enseignants d’aller faire classe dehors absolument, ce que je peux leur conseiller : soyez vous-même, reconnecter à vous-même, enseignez comme vous êtes parce que le plus important c’est de montrer aux enfants qui on est.
Il ne faut pas être juste le professeur et si l’on a des passions il faut leur partager parce que c’est ça dont ils ont besoin. On est un petit bout de chaque personne qu’on rencontre dans notre vie et donc ils ont besoin d’adultes accomplis pour eux aussi être comme ça.
Eduscopie : Tu as un gros point d’attache sur l’écologie dans tout ce que tu fais que ce soit chez toi ou à l’école, est-ce que du coup dans ce sens s’il y a des école qui sont pas du tout intéressées par cela, est-ce que sur ce point-là tu as des petits conseils par où commencer ?
Marie : Malheureusement on n’entend pas un bon discours sur l’écologie, c’est toujours une espèce de religion, un truc à suivre à tout prix et ça ne donne vraiment pas envie.
Tant qu’on le présente sous forme d’urgence, ça ne donne pas envie aux gens de s’y mettre. Pour moi, on ne peut pas convaincre les gens de se mettre à l’écologie par la contrainte.
Personne n’a envie surtout pas dans le monde dans lequel on vit de surconfort, personne n’a envie de faire de l’écologie pour sauver les espèces, pour sauver les générations dans 40 ans.
Ce qu’il faut c’est que les gens trouvent un intérêt personnel pour faire les choses.
Quel intérêt j’ai moi à faire de l’écologie ? En quoi cela va m’apporter quelque chose ?
Quand on arrivera à parler de l’écologie de cette manière, c’est-à-dire de faire comprendre aux gens qu’il y a une opportunité de faire de l’écologie et qu’ils ne le font pas pour les autres ni pour le futur à ce moment-là on aura tout gagné.
Expliquer aux gens qu’être écologiste rend heureux. Moi ce que j’ai à dire sur cela c’est qu’il ne faut pas sortir dehors à tout prix mais trouver quelque chose qui dans l’écologie va vous porter.
L’écologie c’est vraiment se responsabiliser et réussir à faire soi-même et comprendre que le confort que nous offre la société d’aujourd’hui ne nous rends pas heureux. Pour moi l’écologie c’est l’apologie du bonheur.
Donc on peut commencer par tous, les enseignants si vous voulez faire de l’écologie dans votre école, qu’est-ce qui vous éclate dans la vie, qu’est-ce que vous avez envie de faire, ou est-ce que vous avez envie de reprendre votre place, qu’est-ce qui vous fait vibrer ?
Et finalement c’est ça la philosophie de ma vie : en apportant du plus dans la vie on va enlever le négatif, plutôt que vouloir enlever ce qu’il y a de négatif à tout prix.
Tout est un peu de l’écologie à partir du moment où l’on reprend sa vie en main. Ce n’est pas en cherchant à faire des actions qu’on est le plus écolo possible, les plus écolo du monde c’est juste les plus pauvres : ils ne se prennent pas la tête à vouloir faire de l’écologie ils sont juste pauvres, du coup ils ne consomment pas et ils sont super écolo. Ne pas imposer et partir de soi.
La contrainte n’amène à rien. Il y a un tas de possibilités pour commencer, faire une liste c’est ok mais ce que je veux dire c’est qu’il n’y a pas de recette. La meilleure des recettes c’est d’écouter une envie, car quand tu en as envie tu mets une énergie bien plus folle que si tu suis un guide. Peut-être que ça va être simple, mais aucune école n’est pareille. On peut donner plein d’idées mais il faut vraiment commencer parce que l’on a envie au risque de se brûler les ailes et de tout arrêter. Il n’y a pas d’ordre.
Nous on a mis les mouchoirs lavables en place, les sopalins lavables, on a remplacé la vaisselle par de la vaisselle jetable, on a installé une fontaine à eau dans la cantine pour arrêter les bouteilles en plastique, on a fait des pique-nique 0 déchets, on a récupéré tous les matériaux vident pour les envoyer à une association qui s’appelle « les clowns de l’espoir », on a tissé des chaussettes en tawachi avec les chaussettes trouées des parents pour faire des éponges lavables pour nos ardoises, on a supprimé les marqueurs et on a pris des craies en bois.
Eduscopie : En tout cas, cela ouvre à l’inspiration.
Marie : Quand j’ai commencé à enseigner dans la forêt je me suis dit que c’était beaucoup d’efforts et finalement un rendu absolument génial. Aller en forêt finalement ça a été la plus belle des sensibilisation. Elle peut faire un peu moins peur. Et je trouvais ça vraiment chouette parce que ça tissait du lien dans tout ce que l’on avait pu mettre en place à l’école et on sait pourquoi on prend soin : on adore. Les enfants de n’importent quel milieu social, n’importe quel enfant aime la forêt. On y allait toutes les semaines et j’avais une classe de 27 élèves de moyen grand.
Eduscopie : As-tu bien été accueilli par les parents, par ta communauté éducative et par l’école ?
Marie : Oui, j’avais des collègues super sympa, même l’inspection. Ça a été super bien reçu, c’était dans un milieu défavorisé après j’ai réessayer de mettre la même chose en place en élémentaire en CM1, je n’avais pas de forêt mais j’avais des espaces verts. J’ai senti dans un milieu social plus favorisé un peu la crainte d’est ce qu’ils vont bien avancer dans le programme scolaire, comme il n’y avait pas la forêt je m’amusais à détourner des jeux sportifs pour faire les matières.
Réinventer le jeu.
Si le mouvement et l’émotion aident à la mémorisation, moi je suis allée là-dedans.
Mais ça fait peur parce que l’on a l’habitude d’apprendre sous la contrainte. Du coup cela faisait un peu peur aux parents. Pour les parents ils se demandaient s’ils jouent est ce qu’ils apprennent. Et après la crainte c’était d’accord ils s’amusent avec vous cette année mais l’année prochaine ils vont faire comment ? Ils vont retourner sur une chaise et être malheureux.
Toutes les expériences sont bonnes à prendre, il faut être authentique.
Je suis presque certaine d’avoir un peu inspiré mes collèges. Pour moi les humains devraient être plus dans un apport de force plutôt que de se comparer, se jalouser et entrer dans la compétition.
Eduscopie : Tu es sortie de ta classe et tu apportes aujourd’hui aux autres à travers tes livres et maintenant tu fais de la formation, est ce que tu veux nous en toucher deux mots ?
Marie : Il faut s’écouter, je me suis rendue disponible, j’ai créé mon auto-entreprise pour promouvoir l’école dehors mais j’avais aucune idée de ce que j’allais faire mais en tout cas j’avais l’envie. Ça faisait deux jours qu’on était en vacances et mon fils savait que je faisais classe dehors et il m’a dit je veux la même chose que tes élèves pas faire un cahier de vacances et du coup l’un de mes premiers projets a été de créer des cahiers de vacances pour dehors. Je l’ai fait pour mon fils j’en ai parlé sur les réseaux et tout le monde m’a dit je le veux je te l’achète et du coup j’ai créé 22 jeux pour réviser dehors en mouvement n’importe où.
Et ça a tellement bien marché, que j’en ai fait pour tous les niveaux de l’école.
Et ensuite des enseignants m’ont contacté pour me demander de faire la même chose mais pour la rentrée car il voulait commencer l’école dehors et ne savait pas comment faire.
Je suis partie des demandes des gens, donc j’ai créé des fichiers de rentrée école dehors : comment passer la journée de rentrée dehors. Et puis ça a encore hyper bien marché donc j’ai fait un ebook` qui vient de sortir y’a une semaine, un fichier avec 40 séances d’école dehors à détourner à l’infini.
Et puis j’ai écrit un livre sur l’école dehors qui sort le 10 mai, et ensuite je forme des enseignants dans les écoles dehors, pour qu’ils expérimentent dans la formation et qu’ils se disent qu’ils ont tout retenu quand on travaille dehors en jouant.
Et ensuite à la fin de la journée normalement ils sont capables de prendre n’importe quelle compétence des programmes et de la transformer en jeu pour leurs élèves : c’est le principe de la formation.